Laissez faire
--> l'insouciance
J'ai mis Maurane, Foly, Kaas sur mon lecteur mp3. Parce que demain, je les mettrais dans les oreilles de ma mère. Peut-être ça sert a rien, mais putain j'en peux plus d'attendre. C'est l'impuissance à l'état brut, tu écoutes le bruit des machines, tu entends l'infirmière dire qu'elle "est pas loin, on voit qu'elle réagit". Ca reste le coma. Peut-être d'ici mercredi...
Jeudi, j'étais en salle de naissance. J'ai fait les premiers soins aux six bébés nés le matin, et j'ai adoré. L'équipe était très sympa, on a rit, on attendait que les mamans accouchent, et on disait "bon, accouche!". Dans la salle des premiers soins, on chante. On parle aux papas, aux bébés, on favorise les contacts peau à peau, il fait 35° dans la pièce.
Jeudi, j'ai vu mon premier accouchement. J'voulais raconter tellement j'ai eu les larmes aux yeux. La maman était belle, sous péridurale, sur la table de travail depuis 11h, son accouchement s'est passé en trois minutes, elle n'a pas souffert, elle était toujours belle ensuite. Et sa fille aussi. Elle fredonnait "toi + moi", que je ne connaissais même pas jusque là. C'est la chanson de mon premier accouchement, le premier bébé que je vois naître, alors je l'ai mise sur mon lecteur mp3.
Ouais, juste après, j'ai vu une césarienne (et les professionnelles qui jouaient le sketch d'Antony Cavanna, c'est nomal, c'est nomal), et depuis, j'ai des images d'Alien dans la tête. Et Marie-Ange, elle a vu un accouchement dégueulasse, pas du tout beau, alors j'ai eu beaucoup de chance.
Jeudi, en sortant, j'étais toute chamboulée. Il était 21h et j'ai voulu appeler ma mère pour lui dire qu'elle est tarée d'avoir fait ça trois fois, que c'est pas possible d'accoucher, je veux jamais. J'tombe enceinte, et tout, d'accord. Mais j'accouche pas. J'allais l'appeler donc, puis j'ai d'abord écouté mes messages, y'en avait un de mon homme qui m'a fait très mal, du coup, je l'ai rappelé lui.
Dans le train, vers 21h30, j'ai reçu cet appel. Ma mère a fait un malaise, les pompiers l'ont emmenée. Je stresse pas, j'suis tellement calme qu'après coup, ça m'étonne. En rentrant, 15 minutes plus tard, j'essaie de savoir où elle est, quel hôpital, quels pompiers... Là, j'commence à paniquer. J'finis par avoir l'info : urgences chirurgicales de neurologie. Mais je ne sais toujours absolument pas pourquoi. Je comprends juste qu'on nous a pas prévenu parce que ma mère est inconsciente et n'a aucun papier sur elle. 23h, un médecin m'appelle. Il m'explique tout, et me dit qu'il faut vraiment venir. 23h45, je raccroche, je prends une douche brûlante (j'ai passé la journée dans cette pièce surchauffée, et avec deux accouchements, le métro... bref, c'est pire que nécessaire), j'me sèche même pas avant d'enfiler mes vêtements. J'appelle enfin mon père. Tu sais, j'ai tenu le temps de savoir tout. Juste en en parlant à mon homme. Je le réveille en lui disant que c'est grave, Maman a eu un accident enfin un malaise mais c'est grave, je viens tout de suite on doit aller a Bicêtre, tu sais y'aller? je viens, prépare toi et bouge pas. J'prends ma voiture, je roule bien, j'ai pas peur, il va y avoir mon Papa. Comme c'est le plus fort, tout ira bien.
Rien ne va, sauf que mon Papa, il connaît bien Bicêtre, et qu'arrivés à l'hôpital, on se gare en travers sur trois places et on tombe sur une dame toute gentille qui nous indique une salle, mais qui peut rien nous dire. Il est même pas une heure du matin, il faudra attendre trois heures du matin pour avoir les premières nouvelles. Et à cinq heure, elle revient de sa première opération et on peut la voir. Il fallait pas qu'on rentre en fait. Elle est enturbannée, inconsciente, pleine de sang, de tuyaux, ça fait cinq heures qu'on est dans l'hôpital, ça fait 22h que je suis réveillée, je manque de craquer, tout d'un coup. Mon Papa aussi. On reste même pas cinq minutes. En sortant, on prend ce couloir où on a fait les cent pas depuis cinq heures, et j'oblige mon Papa à me prendre dans ses bras. C'est pas facile, l'hôpital ça lui rappelle trop de mauvais souvenirs, mais cette fois c'est pas moi qui suis endormie. Cette fois c'est moi qui suis à ses côtés, et ma mère de l'autre côté.
On rentre à la maison, il me dépose pas chez moi. Il veut que je mange et que je dorme, je sais pas ce que c'est, je veux juste allumer la télé, prendre Macha contre moi, m'enrouler dans le plaid vache et ne plus penser. Ca marche. On reste posés 1h30. Puis on se lève et on brasse du vent. J'appelle mon école pour dire que j'irais pas travailler. Il appelle mon frère et ma soeur pour les prévenir. Je bois du café mais rien d'autre ne passe. On se réinstalle, y'a rien à la télé mais on s'en fou en vrai. On attend parce que l'hôpital, on peut pas y retourner avant 14h, ça servirait à rien. J'mets trois heures à faire un sudoku "facile", il a pas l'air dur mais je ne vois pas les chiffres. A 13h, Papa appelle l'hôpital, Maman a eu sa deuxième opération, ça va pas trop mal. On peut venir pour 14h, 14h30.
On y va, mais on attend en fait jusqu'à 17h pour la voir 5 minutes. Elle passe dans une chambre où on peut venir la voir de 15h à 22h. Et on a des nouvelles. Il faudra attendre deux semaines pour que son pronostic vital ne soit plus engagé. Et si elle se réveille, on sait pas quelles seront les séquelles. Le médecin est plutôt optimiste pour son réveil, mais il craint les suites de rupture d'anévrisme (spasme, nouvelle rupture...) et aussi les séquelles. On verra. On attend.
J'ai pas pleuré, rien ne sortait. Et vendredi soir, à un moment, mon homme est arrivé dans l'appartement. J'me maquillais pour avoir l'air d'une fille normale, et pas d'un zombie qui n'a pas dormi depuis 7h, la veille. J'sais pas comment il m'a attirée contre lui, mais une fois dans son cou, les sanglots m'ont assaillie en traître, et ça m'a fait du bien. Il m'a laissé pleurer, même si ça n'a pas duré assez longtemps. Je sais pas pleurer, je sais plus. J'ai trop de colère à la place. Mais dans ses bras, tout s'évanouit.
On est allé récupérer les clefs de ma mère et puis des affaires dans son appartement. J'ai jeté un mec vraiment bizarre dehors, et tant pis si ma mère tenait vraiment à lui. Je le déteste et il est trop louche. On a halluciné devant ce que ma mère garde chez elle, on a jeté un tas de bouffe, j'ai essayé de prendre des fringues mettables, au cas où on puisse l'habiller bientôt.
J'voulais sortir avec ses potes pour halloween, et puis jme suis endormie sur le canapé après avoir avalé quatre raviolis. Il m'a dit qu'on allait au lit, tu sais, j'me souviens même pas y avoir été. J'ai lutté pour pas dormir, je lui ai expliqué pourquoi, il m'a rassurée. Quand même, j'me suis réveillée plein de fois pour vérifier qu'il n'y avait pas eu de problème à l'hôpital.
Samedi, hier donc, on est allés à l'hôpital, mon homme, mon père, mon frère et moi. On a pu bien la voir, les médecins ont laissé mon petit chat blanc, ils ont changé ses draps, et l'infirmière elle m'en veut pas quand j'engueule ma mère.
Aujourd'hui, j'aurai dû réviser et j'l'ai pas fait. Il faut que le module 6 soit facile, parce que j'peux pas rater. Aujourd'hui, j'ai dormi, jme suis blottie contre lui, j'ai mangé du chili con carne et du riz, j'ai quand même repris une douche, et puis j'ai eu envie de faire du rangement, de la place pour lui bientôt, tout ça.
Maintenant, je songe à essayer de dormir, mais bon. J'ai pas sommeil, et j'suis toute seule, ça craint.
Ecrit par Kyrah, le Dimanche 2 Novembre 2008, 23:58 dans la rubrique "vide".